La rencontre entre Joonwoo et Sarah aurait pu être une belle histoire. Lui, l’étranger à la conquête du monde. Elle, la fille respectable d’une communauté amish du comté de St Lawrence, New York. Ils n’avaient rien en commun, rien à s’apporter de plus qu’une amourette de passage. Pourtant, il l’a convaincue de le suivre. Elle a tout lâché, enfilé des vêtements de la société moderne, dit au revoir à ses proches et est grimpée dans la voiture d’un quasi inconnu la nuit venue. Sauf que la vie, c’est pas une série romantique netflix.
La réalité, c’est que même pas un an après les faits, Sarah était en cloque, dans un appartement miteux de la banlieue de Boston, et désespérément seule après que son grand amour se soit tiré.
C’est dans ce contexte que Billy est né. Encore une fois, si la vie avait été romantique, on aurait pu dire qu’il était la prunelle des yeux de sa mère. Que grâce à lui, elle s’est épanouie, a découvert ce monde qui lui avait été caché pendant tant d’années, a fait de belles rencontres. A eu une vie normale, en somme. Ça aurait été trop simple. Même avec la meilleure volonté du monde, elle n’était pas adaptée pour ce monde. Apeurée à la simple idée de sortir de chez elle, de parler, incapable d’utiliser quoique ce soit qui ressemblerait de près ou de loin à de la technologie, dépendante de toutes les aides sociales existantes. Dans un monde idéal, Billy n’aurait pas été atteint de cette insensibilité congénitale à la douleur (joyeusement diminué à ICD par les médecins), qui l'empêche de ressentir la moindre douleur et donc de détecter le moindre truc qui ne tournerait pas rond chez lui. Il n’aurait pas nécessité à cause de cela des allers-retours permanents aux urgences pour des contrôles -devenus de moins en moins fréquents à cause de la peur de Sarah des hôpitaux-, ou pour s’assurer que la chute qu’il venait de faire ne s’accompagnait pas de dommages invisibles et graves. C’est pas qu’elle était une mauvaise mère, c’était juste qu’elle souffrait de tous les troubles possibles et imaginables. L’unique chose qui adoucissait ses angoisses était l’alcool.
Billy a eu droit à tous les types de conséquences. Les menaces d’expulsion mises à application, les semaines sans électricité à cause de factures impayées, le frigo vide, la négligence quand sa mère ne pouvait pas sortir du lit pendant des jours consécutifs, les hurlements ivres de Sarah quand elle le prenait pour responsable de ses maux, la visite des services sociaux.
Parfois, Joonwoo se repointait la bouche en cœur et Sarah reprenait vie. Le temps de quelques jours, il se souvenait qu’il avait un gosse et était présent dans sa vie par autre chose qu’une pension alimentaire -dépensée la plupart du temps pour autre chose que le gamin- ou une assurance maladie -salement rentabilisée-. Jeune, Billy se laissait avoir par l’espoir que cette fois, son père resterait. Qu’ils seraient une famille. Il lui a fallu des années pour piger que son géniteur venait juste tirer son coup avant de repartir aussi vite.
Sans surprise, toutes les excuses étaient bonnes pour fuir la maison. L’école était son enfer personnel, le théâtre de jugements permanents, racisme, moqueries et absence totale d’intégration. Pas bien sociable et pas studieux pour un sou, on lui a jamais prédit un avenir brillant. Si ce n’était pour le déjeuner offert par l’école (merci le National School Lunch Program), il ne s’y serait pas souvent pointé. Il préférait de loin la maison de ses rares amis où il était couvé bien plus que Sarah ne saurait le faire, ou la bibliothèque, là où il avait la paix. C’est probablement la compagnie des livres qui l’a rendu un minimum cultivé, une chance qu’il n’a jamais trop mesurée.
Dès ses quatorze ans, il a commencé à bosser. Il a été caissier, plongeur, vendeur de tickets, distributeur de flyers. Ça partait d’une bonne intention mais la réalité économique l’a frappé de plein fouet. Chaque pathétique dollar qu’il gagnait ne suffisait pas à payer la totalité des factures. Ils joignaient les deux bouts quand Sarah bossait elle aussi, mais ça ne durait jamais plus d’une poignée de semaines.
Alors le gosse a arrêté de jouer selon les règles. Il a arrêté d’être pris pour un con par des employeurs ravis d’exploiter un gamin contre une misère. A la place, il s’est mis à prendre sans demander. Il a volé, menti, arnaqué. Traîner dans les bas-fonds de la ville a été la porte ouverte aux mauvais filons. A ce stade, il n’y avait plus rien à sauver quand il était prêt à nuire à autrui ou à se mêler à des groupes dangereux tant que la paye était bonne.
Le problème, c’est que ça a fonctionné. Pour la première fois de sa vie, il avait assez de tune pour payer les factures de Sarah et pouvoir se tirer. Plutôt que de payer deux loyers, il se trouvait une copine chez qui crécher. L’exercice n’était pas difficile quand il n’avait littéralement peur de rien, et rien à perdre.
C’est que ça a suffi à lui faire prendre confiance en lui. Assez pour oublier les risques qui allaient de pair avec ses mauvais choix. C’est dans un bar miteux qu’on lui a parlé des courses pour la première fois. Entre les paris et les prix, les récompenses chiffraient parfois sur milliers de dollars. Mais pour cela, il fallait une bagnole digne de ce nom. Ça a piqué l’intérêt du jeune homme, l’ego s’en est mêlé. Il pouvait écraser n’importe qui, il en était certain, mais pas avec sa vieille toyota yaris dont le moteur menaçait de lâcher à n’importe quel instant. Cette connerie l’a obsédé. Ça lui a pris des mois pour faire ses recherches, aussi bien mécaniques que stratégiques. Il s’est trouvé des contacts dans le milieu. Jusqu’à finalement trouver le Saint Graal ; une Audi RS 6. Discrète mais avec un moteur digne de ce nom. Il ne l’a pas achetée, évidemment. Il a juste participé à un cambriolage. C’était le deal ; il fait le repérage, il prend les charges s’ils devaient se faire prendre, et il repartait avec la bagnole. Le con de propriétaire avait été assez aimable pour laisser la clé dans le garage. Autant dire qu’après un changement de plaque et un coup de peinture, il n’a plus été inquiété.
C’est devenu l’un de ses hobbies, et l’une de ses principales sources de revenus. Courir les courses, réinvestir ses gains, trafiquer sa bagnole, s’en débarrasser une fois qu’il peut trouver mieux. Il a trouvé des partenaires dans le business pour parfois emprunter des bagnoles et partager les gains. Il est doué, Billy. Pas parce que c’est un pilote hors pair mais plutôt parce que le risque ne le fait pas ciller. Il ne ressentirait rien s’il fonçait dans un mur, alors à quoi bon en avoir peur ?
C’est que ça a presque mis de l’ordre dans sa vie pendant un temps. Il était en contrôle. Jusqu’à ce qu’il rencontre Abby. Il ne sait pas pourquoi elle a attiré son regard de la sorte. Elle était passe-partout. Pas un mannequin, pas ce caractère de merde rebelle qui avait tendance à l’attirer chez les nanas. Elle était plutôt cet esprit libre créatif et influençable au regard si profond qu’il a fait n’importe quoi pour qu’elle le pose sur lui. C’était pas le genre à se lancer dans les relations Billy et pourtant avec cette fille, il s’est lancé à corps perdu. Il a dit oui à tout, s’est satisfait de l’avoir rien que pour lui. Il a même osé s’ouvrir un peu en lui livrant des secrets. Il l’a entraînée dans les courses comme si elle était aussi indestructible que lui. Il n’aurait jamais cru qu’elle se prendrait au jeu, mais c’est devenu leur truc à eux. Il n’y avait rien de plus enivrant que de voir son attitude fébrile chaque fois qu’elle sortait de la bagnole, le cœur encore palpitant à cause de la vitesse. Ça a suffit à le faire chavirer.
Le problème, c’est qu’il a jamais appris à prendre soin de ce qu’il a entre les mains. Sans surprise, ça a été la même chose avec son couple. Il a fallu à peine un an pour qu’au détour d’une soirée alcoolisée, il retombe dans ses anciens travers avec cette fille qui était tout ce qu’Abby n’était pas. Blonde, assurée, provocatrice, à l’aise avec son sex appeal. Elle a su exactement quoi lui dire et Billy n’a pas réfléchir de trop avant de la mettre dans son lit. C’était juste une partie de jambes en l’air, il prévoyait de la jeter juste après. Abby n’aurait pas dû savoir, encore moins le surprendre. Mais ça a été le cas, et quand la porte a claqué, c’était trop tard pour sauver quoique ce soit. Il a tenté de lui courir après durant les semaines qui ont suivies, sans succès.
Il s’en serait probablement remis si elle avait quitté sa vie. Sauf qu’il lui a découvert un côté vindicatif qu’il ne lui aurait jamais soupçonné. De partenaire, elle est passée à rivale. Toujours dans le coin pour lui pourrir la vie et pour lui mettre des bâtons dans la roue. Elle a mis à mal sa patience et sa stratégie, quand il est celui qui lui a appris toutes les petites ficelles des courses. Plutôt que de s’en détacher, il l’a suivie quand il a appris qu’elle avait quitté Boston pour ce bled, Blurrydale. Officiellement, il l’a fait pour changer d’air, éloigner Sarah de la grande ville. Officieusement, il n’a pas réussi à couper le cordon. Il avait besoin de plus. C’est en arrivant en ville avec ses grands espaces vides qu’il a eu l’idée de ne plus faire cavalier seul. Il a créé sa bande avec d’autres coureurs, les Blue Velvet. Sans la moindre surprise, ils ont immédiatement trouvé leurs adversaires chez les Red Sangue, évidemment dirigés par Abby. Une compétition sans merci qui s’est installé, au point de devenir le théâtre de leurs règlements de comptes passés.
Malheureusement pour lui, ce n’est pas au volant de sa bagnole qu’il peut régler tous ses problèmes de vie. Il a installé Sarah dans un joli petit apparemment de Pleasant Valley, là où elle peut voir la mer tous les matins et ne réfléchir à rien d’autre. Il lui a fait abandonner l’idée de payer ses factures en promettant de s’en occuper quand lui se tape un appartement minable à Whalers Bank où le papier peint s’effrite, où les problèmes de cafards sont monnaie courante, et où l’isolation est inexistante. Il paye une misère en échange de vivre au cœur de la criminalité locale. C’est son devoir de se démerder pour payer tout ça. Cela fait un bail maintenant que ses économies se sont amenuisées et que malgré ses bonnes intentions, les jobs légaux et les courses ne suffisent pas à lui faire joindre les deux bouts. Alors il est revenu à ses vieux vices. C’est facile quand on sait à qui demander, de savoir où on aurait besoin d’un type comme lui. Un gars impossible à mettre à terre à moins de le briser littéralement, un gars qui n’a pas peur du danger, qui peut se faire acheter pour les pires crasses. C’était un vieux contact rencontré de son temps dans l’Unidade de Corosa Sagrada qui a réussi à le faire entrer. Il s’est porté garant et il faut croire que Billy a eu de la chance. On lui a foutu une arme entre les mains, une mission de vie ou de mort, et des menaces plein les oreilles. C’est son job de dévouer sa vie au type qu’on lui assigne maintenant, en dépit de ce qui peut arriver. S’il savait qu’il risquait de crever jeune entre sa maladie et ses hobbies, il commence à prendre conscience que son boulot pourrait précipiter la chose aussi.
Mais c’est devenu sa vie. Les visites quotidiennes à sa mère, le job répréhensible la journée, les amis trouvés comme une seconde famille au travers des Midnights, ces têtes brûlées connement irresponsables la soirée, de la compagnie la nuit quand il arrive à tout faire coïncider, et ses courses durant ses jours de repos. C’est juste le temps de se faire de la tune et de pouvoir enfin se racheter une conduite. C’est juré.




Il est atteint d’une insensibilité congénitale à la douleur. Il ne ressent donc pas la douleur physique, quelle qu’elle soit. Ce pourrait être son super-pouvoir si ça ne risquait pas de le tuer un jour en le faisant passer à côté de symptômes dangereux • Il est pas à l’aise avec les mots et a un fuseau court. La moindre provocation et il est capable de se battre, pour ensuite pester en espérant ne pas s’être cassé des os dans l’affaire. Dans ses meilleurs jours, il usera juste de toutes les injures qui peuvent lui passer à l'esprit • Malgré toutes ses frasques, il sait garder un profil bas et à part quelques conneries du genre ivresse sur la voie publique, il n’est pas connu des services de police • Il est incroyablement protecteur de sa mère, en dépit de son incapacité à le materner • Il a subi du racisme banalisé toute sa vie. Puisqu’il est asiatique, c’est un bridé chinois pour les esprits demeurés. Ce sont des propos qu’il ne supporte absolument pas, sans doute parce qu’il est bien plus américain que coréen en n’ayant grandi ni dans la culture, ni dans la langue de son ethnicité décriée • Il est bricoleur, adepte du système B depuis toujours. Il sait se démerder pour réparer à peu près tout. Pareil pour les bagnoles, il serait capable d’en démonter une entière et de la remonter parfaitement • Il ne possède absolument rien de valeur dans son appartement minable, mais trouve une richesse dans sa bibliothèque remplie de bouquins en tout genre. Un côté rat de bibliothèque qu’il n’admettra jamais mais qui lui permet de ne pas sonner totalement con quand il discute avec des gens cultivés • Il sait mentir comme personne, cela fait bien longtemps qu’il a compris que parfois, c’était dans son intérêt de ne pas se faire choper • En particulier avec les nanas. Habitué de Tinder et des bars du coin, il apprécie grandement le fait que Blurrydale soit un coin touristique et que les nouvelles cibles aillent et viennent. Depuis peu, il a ouvert son Tinder aux hommes mais si on lui demande, alors c’était une erreur. Dans tous les cas, il annonce d’entrée de jeu : rien de sérieux. Sauf si prétendre le contraire le fait arriver à ses fins. Il pourrait faire une entorse pour récupérer son ex, si elle ne lui donnait pas autant envie de l’étriper certains jours • Il a fait des tonnes de jobs, légaux et illégaux. Il a menti pour accéder à certains, s’est déjà fait virer dans la journée, a parfois démissionné avant même de se pointer. Bosser pour une misère le fait chier • L’illégalité paye bien et manipuler de la drogue, des armes, voler, ou conduire des arnaques ne l’a jamais trop fait ciller. Mais plus le temps passe, plus il se montre prudent. S’il finissait en taule, il ne pourrait plus s’occuper de sa mère, et c’est hors de question • Quand il avait seize ans, un collègue du supermarché minable où il bossait a ramené un flingue. Ils ont conduit jusqu’au terrain vague en dehors de la ville pour s’entraîner. C’est ici que Billy a appris à tirer • Malgré cela, son père est la seule personne qu’il pourrait buter sans même y songer à deux fois • Les clopes dans la poche de sa veste, la bouche pâteuse à cause de l’alcool le matin et les joints qui se partagent sont son quotidien. Il garde le plus fort pour les occasions spéciales • C’est un loup solitaire qui garde jalousement sa confiance. Si ce n’était pas pour les Midnights et quelques têtes spéciales, il ferait cavalier seul en permanence. Ce n'est pas pour autant qu'il choisit toujours les bonnes fréquentations. Bien au contraire, il a cette sale manie de toujours être présent quand il s'agit d'avoir des activités répréhensibles. Présent pour le meilleur comme pour le pire • C’est devenu un adepte des sports de combat en tout genre, notamment MMA et boxe. Il a rejoint un club, officiellement pour se muscler, officieusement pour se défouler. Frapper sur des sacs est moins emmerdant que de cogner des types • Il met presque toute sa tune disponible dans sa bagnole du moment pour essayer d’améliorer ses performances durant les courses avec les Blue Velvet, la bande qu’il a fondée • Il fera toujours passer sa mère avant lui, ce qui lui vaut d’être en permanence fauché. C’était sa principale motivation à se faire des potes friqués, au début. La source facile de fric s’est gravement amenuisée depuis qu’il a décidé qu’il les appréciait trop pour abuser d’eux.