☼ Godasses trouées sur le sable mouillé, embruns qui collent les mèchent brunes contre la peau halée, le cœur est pris dans la gorge, les larmes sont coincées sur les joues. Temps dégueulasse, averse qui trempe aussi bien les os que les fringues trop grandes. Il a 10 ans, Devon, et pour la première fois, il vient de fuguer. Troisième famille d’accueil, celle qu’il pensait être la bonne. Il sera rendu, il le sait. Il le sent. Il voit bien comment parle les parents une fois la nuit tombée. Enfant trop vieux pour être facilement dompté, caractère déjà trop assuré pour être mené à la baguette par des adultes qui pourtant, semblaient si gentils sur le papier. Si normaux. Famille étrange, la femme esseulée, le mari toujours ailleurs, l’impression qu’un chiot n’aurait pas suffit à sauver le mariage, non, il fallait un enfant à la place. Sur la joue du gamin s’étale déjà des marques rougies d’une paire de phalanges. Au loin, une voix l’appelle. Il sait que c’est la mère adoptive qui cherche à s’excuser des actions du mari, il sait qu’il sera choyé, à nouveau, qu’une sucrerie l’attendra en plus du dessert soigneusement préparé. Tremblements, il aurait dû prendre son manteau, mais il n’a pas réfléchi face à la violence, il a simplement fui. Il a couru, le long des rues, jusqu’à trouver la plage si familière. Frissons qui assaillent l’épiderme, il va sûrement être malade le lendemain mais il s’en fiche un peu le gamin, dans le fond lui, il aimerait seulement être aimé.

☼ Il restera 6 ans de plus au crochet de cette famille adoptive presque 7, malgré les cris fréquents et les coups qui parfois pleuvront gratuitement. Habitué de l’école buissonnière, il grandit seul, trouve de quoi s’occuper, traine le plus souvent sur le port à observer les bateaux qui vont et viennent le long des quais. C’est comme ça qu’il obtient son premier job, gamin frêle mais à la tête déjà bien solide. Décharger les conteneurs pour quelques billets verts, ça lui semble bien plus intéressant que d’être assis à écouter des cours qu’il n’aime pas vraiment. Rapidement, Devon prend en confiance, découvre que les shifts sur les docks peuvent parfois bien payer. Il reste loin des affaires nocturnes, loin d’être naïf et même si beaucoup de collègues tenteront plusieurs fois de l’amadouer, il reste droit dans les bottes, l’adolescent, préférant de loin garder un casier judiciaire vierge et une réputation clean plutôt que de risquer de ternir le peu d’importance qu’il se donne à ses propres yeux.

☼ La lettre est sortie de nulle part la veille de ses 17 ans. Sac de voyage empaqueté dans l’entrée, la figure maternelle à l’audace de pleurer alors que le paternel se tient dans l’entrée, les bras croisés. Il n’a jamais vraiment été leur fils, il le sait bien Devon. Il n’a jamais été assez, n’a jamais suffit à réparer des années d’amour absent, pansement humain sur des morceaux de cœurs dévastés. Ce n’est pas évident, pour lui, de savoir comment se sentir. Il ne sait pas comment réagir lorsque des bras l’enlacent, qu’on lui file une enveloppe à l’écriture bancale ainsi qu’une chaîne dorée où se trouve une médaille de naissance, les initiales finement gravées, qu’on lui dit que c’est un vieux truc que sa mère avait donné à l’orphelinat où elle l’avait laissé. Tourbillon d’émotions dans le cœur adolescent, l’envie d’exploser pour des années d’enfer où il fuyait bien plus qu’il ne passait de temps à la maison. Ce foyer qu’il n’aura jamais réussi à trouver, n’utilisant la maison que comme un endroit où dormir une fois la nuit tombée. Et rapidement, les parents d’adoption avaient abandonné, gamin laissé pour contre, livré à lui-même. Il ne répondra pas, Devon, quand le père fera mine de s’intéresser, qu’il ira même jusqu’à lui dire de leur rendre visite, si un jour il s’ennuie de trop. C’est sans un regard en arrière, le sac lourd et le cœur pourtant soulagé que le gamin quitte la maison ce jour-là. Joli pactole amassé depuis les débuts de son petit job aux docks, voilà qu’il peut désormais vivre seul.

☼ Si les bancs de l’école ne le voyaient pas beaucoup, Devon, il découvre rapidement une passion pour le sport en équipe. C’est bien l’un des seuls souvenirs qu’il a avec la famille adoptive, celle d’un hiver passé chez les grands-parents à Boston, le père l’avait emmené sur une de ces patinoires improvisées du quartier. Crosse à la main, patins aux lames légèrement émoussées, Devon, il avait découvert une certaine passion pour la sensation que la glisse lui procurait. Ils avaient passés l’après-midi sur cette glace, corps couverts de bleus à force des chutes, mais l’enfant s’était relevé, sans ne jamais rechigner, têtu comme jamais. Alors, lorsque le père lui avait proposé de se lancer dans des cours, il n'avait pas hésité. Moyen étrange dans sa tête d'enfant de créer du lien avec son propre boureau, acharnement d'un paternel qui aurait voulu revivre les belles années rêvées d'un fils adoptif qui, lui, savait patiner. Honte au début de l’état des affaires comparé aux autres, léger complexe d’infériorité qu’il avait mis un point d’honneur à gommer à force d’heures passées à patiner, à s’entrainer pour peaufiner les techniques. Et surtout rendre fière les membres d’une équipe qui, peu à peu, s’étaient transformés en véritables frères pour lui. Attaquant centre depuis un moment désormais, la passion du jeu qui ne s’évapore jamais. Ils iront loin, les Blurrystorms, lui il en est convaincu.

☼ Zach, Dante, Nico. Une constante depuis le plus jeune âge. Gamins d'horizons différents, sur les patins ça comptait peu que certains soient nés avec des cuillières dorées entre les lèvres tandis que d'autres savaient à peine d'où ils venaient. Amitié qu'ils construisent au fil des années, une échappatoire pour Devon qui passe plus de temps chez l'un des gars que chez ceux qui l'ont adopté. Il leur parlera jamais vraiment des coups et des insultes, il cachera toujours les hématomes et tentera toujours de garder le visage haut, face aux questions, aux doutes, aux interrogations parfois des frères trouvés par hasard. Ce n'est pas grave, ça ne l'a jamais été, Devon, il sait bien qu'il finira par rebondir, par se débrouiller. Loin de la famille adoptive et loin de cette toxicité.

☼ Equilibre précaire qu’il s’est construit de toutes pièces aujourd’hui. Toujours le même appartement que depuis ses 17 ans, le même groupe de potes, le boulot qui ne change pas, les amplitudes horaires s’étalant pourtant de plus en plus. Argent qu’il économise précieusement, le cliché même du gars qui garde la monnaie dans son matelas défoncé, fier joueur des Blurrystorms, l’envie toujours de se dépasser pour ses frères de patins qui semblent l’accepter pour ce qu’il est, le corps souvent couvert de bleus qu’il a choisi de recevoir, rendant bien les coups aux adversaires lorsqu’il le fallait. Il ne sait pas trop où il va, Devon, être d’habitude qui s’empêche bien souvent de rêver. Il n’a jamais mis les pieds hors de Blurrydale, malgré l’appel d’ailleurs qui parfois lui serre les entrailles.

☼ Allergique aux cacahuètes / rêve de découvrir le Maroc / s'est déjà pris à rêver de retrouver sa mère / intéressé par les sports de combats / charmeur, il est pourtant timide dès qu'il est vraiment attaché / porte toujours la chaîne de naissance offerte par sa mère biologique, ses initiales y sont gravées / n'a jamais mis les pieds hors du Massachusetts / n'a plus aucun contact avec les parents adoptifs depuis qu'il a quitté la maison / adepte des friperies et des fringues de seconde main, il pourrait passer son temps à dénicher des pièces / a appris à coudre étant plus jeune /

☼ Dear Devon,
if you're reading this, it probably means that you're now old enough to understand everything that went through before you were even born. If you're reading this, it also means that I haven't been able to keep you close, that it was too hard to see those big eyes look at me without thinking of the man who decided to leave me. Let me tell you how your dad and I met. [...]
Don't try to find out who I am, nor who that dear friend of mine was, I don't think I'd ever be ready to discover how you turned out to be. [...]
I hope you've found yourself a family, or that you've built one. I'm sorry I couldn't be there for you. I don't have much to give you, but I had this made for you before I knew that giving you away was the only chance you could have of surviving this life. It's not much, just something that will tie you back to me. [...] Please know that you're crying your eyes out as I'm writing this. We're sitting on the steps in front of the orphanage, you and I, and you haven't stopped crying since this morning. I think you know, I think you can tell, somehow, that this is the last time we'll see each other. [...]
I apologize, Devon, I hope you'll find it in your heart to forgive me. Know you are loved, wherever you might be, a piece of my heart will always belong to you, kiddo.
Your mom.