Francesca. Une simple recherche sur l’étymologie du prénom suffira à capturer l’essence de la femme. Francesca, dérivé de Francesco, qui signifie homme libre. Liberté si rapidement agrippée du bout des doigts, sans hésitation, vive et décidée. Enfant choyée, enfant unique de parents connaissant une bonne situation. Petite parisienne qui épouse les clichés, vogue dans les beaux quartiers de la ville, traîne accompagnée des fils et filles de, pour ensuite se rendre à la résidence de vacances des grands-parents paternels. Il y a des armoiries sur les grilles du manoir, et une vague histoire de famille que le grand-père s’efforce à mettre dans la tête de la brunette et des cousins qui sont souvent aussi dans le coin, surtout lors des vacances scolaires. Orgueil démesuré dans la voix de l’aïeul, l’importance des racines, l’importance de la famille, l’importance des noms, du statut, d’être quelqu’un. Des leçons qui passeront rapidement au-dessus de sa tête, à Francesca. Gamine intrépide, elle file le long de ses humeurs, là où le cœur la mène. Chanceuse, elle le sait, l’apprend chaque jour, lorsqu’elle commence à comprendre les notions d’argents et autres aspects de la vie qu’être bien née peut influencer. Alors, elle décide d’en profiter. Leçons de piano, très jeune, se passionne de danse, le théâtre aussi, des cours particuliers aux soirées accompagnées de sa mère et des copines maternelles à l’opéra. Enfant de culture, elle se perd dans les livres, pour mieux courir dans la nature dès qu’elle en a l’occasion. Equilibre qu’elle cultive, de passions en passions, d’années en années, l’indépendance qu’elle embrasse du bout des doigts dès qu’elle en a l’opportunité. Privilégiée, oui, mais Francesca, c’est surtout seule qu’elle a envie de se réaliser.

Rapidement, l’amour du cinéma lui tombe dessus. Les vieux films empruntés à droite à gauche, les « classiques » comme on dit souvent, elle en a passé des après-midis pluvieuses devant les images noires et blanches. Seule souvent, la famille peu passionnée par le simple fait de rester assis sans ne rien faire pendant de longues heures. Ils ont du mal à comprendre les étoiles qui brillaient dans les prunelles de leur Franscesca. Pour autant, ils ont soutenu les désirs de l’enfant, l’ont laissé faire les choix qu’elle voulait, explorer les planches, explorer les écoles, jusqu’à trouver ce qui lui convient vraiment. Rapidement, elle se fait un nom dans le secteur, étoile montante, elle a la classe des grandes dames, les actrices d’autrefois, détonne sûrement face à celles qui passent les auditions à ses côtés. Elle a une « gueule » comme on lui répète, elle ira loin, qu’on lui dit souvent. Image qu’elle cultive, avec soin, elle choisit les projets méthodiquement, ne se laisse guider par ce que les entrailles susurrent : est-ce que le rôle va la faire vibrer ?

Cherchez son nom dans la presse, sur les réseaux, vous ne la trouverez pas beaucoup. Image contrôlée, le mystère qu’elle souhaite garder, l’intimité surtout qu’elle chérit plus que tout, ayant trop vu de collègues du milieu descendre aux enfers à la suite du moindre faux pas. Oh, elle en a fait, des erreurs, mais personne ne le saura jamais. Les seuls déboires qui lui sont attribués sont liés à ce mariage précipité. Photos volées d’une cérémonie sur une plage italienne, la robe trempée d’écume, les éclats de rires à jamais capturés sur les traits des jeunes mariés. Elle était bien plus jeune, il était beau, ils s’aimaient, découvraient le cinéma ensemble, découvraient surtout la vie de couple de plateaux en plateaux. Tout le monde se les arrachaient, le duo d’inséparable. Puis il y a eu la grossesse involontaire, l’arrêt brusque des appels, la rancœur, les difficultés, la naissance, l’équilibre brisé. Les bagues abandonnées, l’alcool pour l’un, la cigarette pour l’autre, chacun choisissant les démons qui les engloutiraient. Il a couru ailleurs, pendant longtemps, s’intéressant aux jupons des autres femmes plutôt que de prendre soin de la famille attendant à la maison. Et Francesca ? Elle l’a quitté. Enfin, la presse dit que ce fut un accord commun, la vérité elle, est une réalité bien différente. Mère solitaire, l’attente que l’ex-mari soit assez solide pour recevoir sa fille dans de bonnes conditions. Lien qu’elle a dû mal a tisser, partagée entre l’impatience de pouvoir retravailler et le besoin d’offrir à sa fille une enfance aussi paisible que ce qu’elle a vécu.

Besoin de changement, envie de respirer ailleurs, elle déménage sur un autre continent peu de temps après la séparation, embarquant sa fille avec elle à New-York. Le père lui, reste en France, incapable de quitter la patrie qui lui tient tant à cœur. Francesca comprend, malgré la peur complète qu’un jour, sa gamine ne se réveille en la blâmant de l’avoir emmener loin de son géniteur. Alors, la jeune femme se coupe en quatre, elle navigue de vols en vols, fait en sorte que l’enfant ne manque de rien, qu’elle voit son père autant que possible, que le manque ne s’installe pas, ou alors peu. En parallèle, il y a cette carrière qu’elle répare, les auditions qu’elle recommence, les habitudes reviennent vite, les fausses amitiés aussi et de fil en aiguille, elle décroche quelques petits rôles avant de rapidement reprendre l’ascension brutalement stoppée. Les mails portant tous le même nom affluent, les scripts remplissent bientôt l’appartement chic, des projets en tout genre, allant du lead rôle dans un blockbuster au rôle d’une mère dans une comédie dramatique. Elle est dans la tranche d’âge étrange, celui où les actrices sont aussi éphémères qu’éternelles, et elle le sait. Elle en joue. Elle essaie de maintenir la tête hors de l’eau, tout en gardant un œil sur les tendances actuelles. Les films ne sont pas tous forcément des succès, mais Franscesca vibre toujours autant de son art, de son métier. Et quelque part, c’est ce qui compte le plus pour elle.

Sous les sourires carminés et les regards maquillés, se cache un coeur solitaire qui suit bien trop souvent les désirs d'un corps qui parfois, demande encore un peu de chaleur pour survivre à la lueur lunaire. Le mariage qui n'a pas tenu, la fibre maternelle qui n'a jamais réellement germé, l'impression parfois, qu'elle est destinée à être seule. A finir seule. Après tout, elle s'est réalisée seule, alors. Puis, il y a ce sursaut d'un coeur qu'elle pense gêlé, il y'a cette rencontre qu'elle n'attendait pas, celle qui fait brûler un peu le palpitant, qui enflamme le bout des doigts lorsqu'elle tapote sur l'écran de son portable. Un lien cousu de fil étranges, solides et pourtant bien fragiles. La relation se développe, au fur et à mesure, intrigue, curiosité, les messages égayent l'existence tandis qu'au creux des nuits les plus rudes, Francesca ose un peu plus se dévoiler. Elle n'aurait jamais penser tomber sur cette inconnue, encore moins qu'elle aurait le don de tisser un tel sourire sur ses traits. Jeu étrange, entre coquilles d'oeufs à ne pas briser et l'envie totale de tout faire exploser. Faire tomber les barrières, les non dits et le mystère, pour plonger la tête la première vers cette personne qui la fait vibrer.

Les dernières années furent étranges. La famille s’est déliée encore plus, l’enfant devenue adolescente souhaite elle aussi voler de ses propres ailes. Relation chaotique, conflictuelle entre les deux femmes. Reproches qui volent, regrets qui s’accrochent un par un dans la poitrine de Francesca, le père se retrouvant souvent avec le beau rôle. Lui qui est loin, lui qui est dans un autre pays, lui qui semble vivre une belle vie aux yeux de leur fille qui finira d’ailleurs par décider de le rejoindre. Seule à nouveau, dans un appartement trop grand, dans une ville trop vive. Les néons sont désormais trop violents pour les yeux de Franscesca, le cœur n’y est plus, l’émerveillement non plus. Désillusion. C’est grâce à son agent qu’elle entend parler de Blurrydale, lui qui lui suggère de prendre des vacances depuis des années, il vient enfin à parler de cette ville où il a passé un été. Ville côtière, l’odeur du sel marin mêlé au vert des pins environnant. Il parle des légendes urbaines, des habitants sympathiques et surtout du fait qu’en dehors de la saison touristique, la ville n’est qu’un havre de tranquillité. La décision est rapidement prise, une retraite au vert, loin des pots d’échappement et du brouhaha constant. L’opportunité de se recentrer sur elle-même, d’explorer ailleurs, de découvrir même de nouveaux horizons. Et de prendre du temps pour elle, ses projets, ses envies. Peut-être qu’elle réussira enfin à lire ce roman qu’on lui conseille depuis des années, ou alors à reprendre le piano, à commencer la poterie, à se remettre à regarder des films comme elle le faisait trop souvent enfant.