identité. ils ont du mal, les américains, à prononcer le prénom venu d'ailleurs. celui de sa grand-mère, femme pieuse qu'elle a aimé de tout son être malgré la distance. ils ne comprennent pas la délicatesse des nuances, l'accent chantant. alors elle a raccourci Agnieszka, elle a transformé son prénom au fil du temps. Ania, une facilité à l'image presque féérique. la grâce, la pureté, la sagesse. voilà ce qu'il est censé vouloir dire ce prénom. mais elle n'a rien de pure Ania, elle n'a rien de sage. le rire qui est franc, la joie qui est directe. on attend d'elle qu'elle reste discrète, il n'en est rien. elle a fait de son nom son identité. sa marque de fabrique. prénom que l'on retrouve sur les affiches, dans les programmes, parfois même sur les chaines de télévision de l'est des Etats-Unis. Hanowski est presque une formalité. le symbole d'où ils viennent, ses parents, de ce qu'ils ont dû endurer pour être là où ils sont désormais. Hanowski aussi, ça gêne. Allemagne de l'est que l'on confond, que l'on prend pour une Russie détestée des patriotes. elle a dû se battre, garder le menton haut. fière gamine qui n'a plus rien à prouver à qui que ce soit. femme flamme, Ania. n'a jamais renoncé au patronyme, même lorsqu'elle s'est mariée au seul qui l'appelle encore Agnieszka, le seul surement.  âge, date et lieu de naissance. elle lui a dit que la fertilité d'une femme de son âge était encore de 77%, la gynécologue. que ce n'était pas si étonnant que ça que le test revienne positif et ce même à trente-neuf ans. trente-neuf années qui sont passées plus vite qu'elle n'aurait pu le croire, qui ont été mouvementées. le premier cri à Blurrydale, déjà trop agitée pour attendre que l'ambulance n'arrive à Boston. un beau bébé, un gros bébé. assez forte pour vivre la vie qu'elle s'est elle même construite. trente-neuf ans de détermination, d'efforts. bélier qu'elle aime rappeler à la radio tous les matins alors qu'elle propose sa propre version de l'horoscope, une version plus dynamique, plus fantasque. une version qui l'amuse particulièrement, elle qui ne s'intéresse à la pratique que lorsqu'elle valide ce qu'elle veut déjà de sa journée. origines et nationalité. première génération née aux Etats-Unis, elle porte le poids d'un peuple opprimé, d'un pays abimé par des années de fascisme. si ses parents ont quitté l'Allemagne, c'est que le pays n'avait plus rien à offrir à cette famille juive marquée par l'histoire. alors le couple est parti, a construit un nouveau monde sur ce bord de mer qu'ils ont su apprivoiser. la petite fille est née sur les terres de l'oncle sam, possède la nationalité de ceux qui adorent la bannière étoilée. elle est loin la pauvre europe de l'est. Ania n'y est allée que quelques fois sur la terre de ses ancêtres, rencontrant les nombreux cousins. a déposé des fleurs devant plusieurs mémoriaux construits sur les ruines de conflits qu'elle a mis du temps à comprendre, l'enfant. voudrait y emmener sa fille un jour, lorsqu'elle sera plus grande, qu'elle sera prête à son tour à honorer la mémoire de ces âmes blessées pour seule raison que d'avoir existé. statut civil et orientation sexuelle. elle était belle sa robe de mariée. d'occasion, et pas grandiose, mais ravissante. une épouse au sourire resplendissant. Tim, elle l'a rencontré à l'université. des rêves de journalisme lui aussi, de jolies ambitions et le même amour de la musique que l'étudiante. c'est lui qui lui a fait découvrir bien des airs, bien des mélodies. amoureuse du jazz qui plonge soudainement dans l'univers des guitares électriques parce qu'il en parle si bien, l'aimé. ils se sont mariés après leurs études, et puis la vie a commencé. deux carriéristes qui parlaient de faire des enfants sans parvenir à savoir quand, comment. un métier l'obligeant à beaucoup voyager, à beaucoup la laisser sur le côté. il lui a proposé pourtant de partir avec lui, de tout quitter pour le suivre sur les routes. elle a refusé Ania, a préféré se faire une place dans le monde de la radio ici, aux Etats-Unis. le rêve d'enfant s'est effacé peu à peu, et l'amour est devenue une attente interminable. des mois parfois sans voir son mari, sans sentir son toucher. dix ans avant que les deux barres ne s'affichent sur ce test de grossesse maudit. et ce choix qu'elle lui a demandé de faire. rester, ou partir. il est parti Tim, a préféré cette liberté, ce métier qui comptait trop pour lui. bien sûr que ça lui a brisé le cœur à la brune, bien sûr qu'elle lui a voulu tout en continuant à l'aimer de lui. Kira elle l'a élevé seule, ne revoyant le père de sa fille que de temps à autre, lorsqu'il pouvait se libérer un peu de temps pour être avec les deux amours laissé derrière. il y a eu d'autres hommes -toujours des hommes- bien sûr, et puis il y a eu d'autres nuits avec Tim aussi. de la tendresse, un moyen de se rappeler les douces années passées ensemble. jusqu'à ce que les deux barres n'apparaissent à nouveau. elle voulait lui en parler, de cet enfant en route. de cette deuxième chance qu'ils pourraient avoir tous les deux. n'en a pas eu le temps. perdu l'enfant, fausse couche déchirante. et le choix d'arrêter les frais, de passer à autre chose. ils sont resté amis, et il n'a jamais su l'ex mari qu'il aurait pu retrouver sa femme, reprendre là où ils s'étaient arrêté. bien sûr qu'elle a tiré un trait sur l'amour, trop occupée à être mère, à être ambitieuse. jusqu'à ce qu'il ne l'embrasse Julian. un collègue, un nouveau venu à la radio. timide, serviable, toujours là pour les autres. toujours là pour elle. ils avaient bu quand il l'a embrassé lors d'une soirée karaoké entre collègues après une chanson d'amour joyeuse, jolie. dès le lendemain il s'excusait, honteux d'avoir cédé à ses pulsions. proposant même de démissionner, de disparaitre de sa vie si cela rendait les choses plus faciles. au lieu de ça Ania lui a proposé un diner, un rendez-vous le soir même. six mois qu'ils se fréquentent, six mois qu'elle réapprend à faire confiance, à aimer, à se confier. six mois qu'il l'adore celui qui l'aimait déjà en silence. six mois qu'ils s'apprivoisent dans un bonheur qu'elle pensait ne plus jamais voir. il ne lui met pas la pression l'homme, va au rythme de la mère, et c'est surement ce qui fait battre le cœur d'Ania le plus fort. elle se dit que ça y est, elle est prête à lui présenter Kira. que ça y est, elle pourrait enfin se donner la chance d'être heureuse à nouveau. s'il n'y avait pas eu ces deux barres, encore, venant précipiter l'avenir qu'ils pourraient construire ensemble. un avenir dont elle doute, celle qui n'a toujours rien dit à Julian. celle qui hésite, passant devant la clinique régulièrement sans pouvoir se résoudre à avorter. parce qu'elle se dit que c'est peut-être sa dernière chance, et que ce serait beau qu'il soit l'élu Julian. mais qu'elle n'est pas encore sûre d'elle, de vouloir de ce futur, elle qui pensait ne plus savoir aimer. emploi et activité, situation financière. il y a encore le prêt qu'elle a signé pour payer ses études, et le loyer de son appartement dans lequel elle vie depuis son divorce, refusant toute aide de son ex mari. si Ania gagne plutôt bien sa vie, la mère célibataire est loin de rouler sur l'or. et pourtant elle ne changerait pour rien au monde cette existence pleine de passion. sa voix qui vient titiller les ondes, ses pensées qu'elle partage avec tout le monde tous les matins, faisant rire un coup, réfléchir un autre. le rock comme premier amour, la radio comme plus grande passion. elle est devenue la tête d'affiche de la matinale rock de Pixy103, la matinale la plus écoutée de tout le Cape Cod pour le plus grand plaisir de son employeur et des annonceurs du coin. elles ont été longues les années d'errance pourtant, à se faire regarder de haut parce que femme journaliste, gamine investie. à ne pas avoir accès aux mêmes chances parce qu'épouse, mère. cinq ans désormais qu'elle est devenue l'animatrice phare de la station, pétillante présentatrice de cinq à dix heure du matin, tous les jours sans une seule interruption. un rythme qui lui permet de s'occuper de sa fille le reste de la journée, et de profiter de ses soirées. parce qu'elle ne dort pas beaucoup Ania, mais qu'elle rêve. de la musique plein la tête, de l'amour plein les doigts, et des idées jusqu'à ne plus en savoir quoi faire. situation familiale. on lui demande parfois où il est, le père de Kira. une question qu'elle déteste du plus profond de son être. un divorce qu'elle a elle même amorcé, qui a pourtant été une déchirure pour l'amoureuse. ton job ou moi. il a choisi sa carrière le mari, abandonnant femme et enfant sur la cote américaine pour s'envoler à l'étranger remplir ce qui lui semblait être sa raison de vivre. maintenant il n'y a plus que Kira, Kira qui est le centre de son monde depuis six ans. Kira qui rit, qui rayonne, qui dessine et qui chante. Kira qui lui ressemble à la mère. une petite famille à deux, même si ses parents ne vivent pas très loin et qu'ils s'occupent parfois de la petite. une famille qui leur suffisait, qui leur suffit encore. mais il y a cet homme aux yeux noirs, au sourire immense, à la voix chaude. cet homme dont elle tombe amoureuse doucement, pas à pas. cet homme qui pourrait bien lui donner envie de changer la définition du mot famille. à blurrydale depuis. elle voudrait pouvoir répondre qu'elle a toujours été là, dans un coin de rue, hantant presque ce Blurrydale qui l'a vu naitre. mais les années passées à Boston pour ses études viennent noircir le record, ne lui permettant pas cette fierté qui est sûrement stupide. surtout qu'elles ont été belles, les années passées dans la grande ville. elles l'ont construite, ont été la source de bien des bonheurs. mais le plan a toujours été le même, revenir à Blurrydale et vivre son amour de la musique dans la région de son enfance, Cape Cod. il y a eu du travail, des embuches, de mauvaises rencontres. mais elle y est enfin parvenue Ania, se faisant une place dans sa communauté, construisant un foyer qu'elle ne quitterait pour rien au monde, pas même le grand amour. quartier. l'appartement est grand pour le quartier animé de downtown et elle sait Ania qu'elle est chanceuse. un quartier qu'elle adore, elle qui vit toujours à cent à l'heure. râle au volant, se presse dans les cafés, squatte le disquaire. elle habite dans le même immeuble depuis cinq ans, depuis son divorce. a créé une relation spéciale avec les autres locataires, sorte de grande famille qui se protège, qui se soutient. une famille qui l'aide avec Kira, qui lui rend bien des services. un groupe à qui elle espère savoir rendre le même amour, la même présence. groupe. riders on the storm.

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traits de caractère. la mélancolie au fond des yeux et le regret au bout des lèvres. elle n'a pas toujours été comme ça pourtant Agnieszka. la gourmande croquant la vie à pleines dents, le sourire comme étincelle. ce qu'elle a pu rire dans sa vie, assez pour rendre heureux le monde entier. elle s'efforce de rire encore maintenant même s'il manque un petit quelque chose dans son regard. la tristesse, elle a tout fait pour ne pas la laisser gagner. a serré les poings pour ne pas sombrer, a gardé la tête haute pour sa fille. cet enfant imprévu qui est devenu le centre de tout son monde. ça aussi, ça l'a changé. l'ambition s'est calmée, s'est transformée en autre chose sans vraiment disparaitre. pas question de mettre sur pause ses rêves pour une grossesse qu'elle a vécu seule. elle a trop travaillé pour ça, a trop donné, a trop perdu. elle est de celles qui s'accrochent sans jamais lâcher. déterminée parfois jusqu'a l'excès, elle a travaillé pour devenir plus forte. pour que l'on ne puisse plus l'influencer encore. pour ne plus que qui que ce soit puisse lui faire du mal, puisse obtenir d'elle ce qu'elle refuse de donner. devenir un exemple pour cette petite fille qu'elle élève seule. elle a dû apprendre à s'organiser, à revoir ses priorités. devenir une adulte n'est pas évident mais elle a l'impression d'y être parvenue. plus sérieuse, plus terre à terre. concentrée sur sa priorité, Kira. son cœur à elle passe après. parce qu'elle a raté sa chance Ania, qu'elle a passé son tour.

que pensez-vous des disparitions annuelles, quel impact ont-elles sur votre vie ? la fascination ne devrait pas être le premier mot lui venant lorsqu'elle pense à cette journée toujours maudite pour quelqu'un en ville. elle aurait bien pu être l'une d'elle, de ces victimes que personne ne retrouve. qu'on espère presque ne pas retrouver, de peur qu'elle nous revienne blessée, meurtrie, voire les pieds en avant. mais voilà, elle se pose des questions. s'imagine qu'elle aurait pu être sur la liste elle aussi; se souvient de Mia, cette jeune du lycée qu'elle connaissait, et qui du jour au lendemain a semblé ne plus exister. qui, pourquoi, comment ? cela fait trop longtemps pour qu'il s'agisse d'une seule et même personne, elle en est consciente. mais alors quoi, une secte ? des extra-terrestres ? une famille aux traditions morbides ? elle veut savoir Ania, mais n'a pas la force de chercher. accepterait mal d'être à son tour sur cette liste alors que sa fille l'attend tous les soirs à la sortie de l'école, le sourire aux lèvres, le sac barbie sur ses épaules.

un des quatre éléments. le feu, brûlante d'émotions qu'elle ne sait pas taire. un des cinq sens. l'ouïe, amoureuse de la musique, de la vie qui l'entoure et qu'elle écoute avec curiosité. un des sept péchés capitaux. peut-être bien l'orgueil d'une femme qui a décidé de ne pas se contenter de ce qu'on lui offrait, qui a voulu toujours plus, toujours mieux, et qui en est fière. une émotion. l'enthousiasme, force qui l'accompagne dès le réveil. une odeur. les biscottes fraichement sorties du grille-pain, petit plaisir accompagné de beurre et de noisettes. une chanson. love of my life, de queen. la chanson de son mariage, miroir de tous les beaux souvenirs qu'il lui a offert, son ex mari. une mauvaise habitude. elle a abandonné la cigarette il y a longtemps, laissant l'hyperactivité reprendre sa place. elle ne peut s'empêcher de toucher tout ce qui l'entoure, comme s'il fallait remplir ses mains coûte que coûte. un objet du quotidien. son casque audio qui l'accompagne à chaque trajet, qui lui réchauffe les oreilles au boulot. une légende de blurrydale. les sorcières des bois, des femmes qui devaient sûrement être fortes un jour. qui en ont payé le prix avant que la culpabilité des Hommes ne les transforme en histoire à dormir debout. un lieu de blurrydale. son appartement qu'elle a passé du temps à décorer, à transformer en nid confortable où faire grandir son enfant.