┗ grace
under
pressure.┛

Le soleil sur le déclin observait une dernière percée vaillante à travers l'épais nuage qui avait dégorgé toute son humidité sur la parcelle acquise par les Varjak, pour établir leur camp, à quelques kilomètres au nord de Blurrydale.
Dire qu'ils avaient choisi l'un des états les plus riches du pays pour s'enraciner (le manque de jugeote proliférait dans les gènes).
Le divan éventré, placé au milieu du terrain, occupé par Rooney depuis plus d'une demi heure avait pris la pluie; ses dr martens maculées de boue s'amusaient à chasser les gravillons. Le bruit au loin de la highway était partiellement couvert par la dispute qui avait éclaté entre ses oncles, Jimmy et Ray, qui ne démordaient pas et espéraient déterminer, chacun s'appuyant sur des arguments plutôt fragiles, laquelle des équipes , des Mets ou des Yankees, hein, était la meilleure ? S'ils avaient eu la moitié du bon sens dont était sans aucun doute dotée Rooney, ils auraient su que la réponse évidente était aucune.
Des éclaboussures avaient atteint son visage et alors qu'elle passait une main dessus pour s'essuyer les joues, elle avait levé les yeux au ciel. C'était un vendredi soir casuel, entre les touffes de verdure éparses et les pick up à la peinture écaillée qui parqués les uns à côté des autres, ressemblaient à des corbillards, dans ce cimetière désolé à guimbardes, on retrouvait Rooney Dolores Varjak, homecoming queen à fond de cale, qui au lieu de profiter de ses derniers instants de gloire, arbitrait une mauvaise habitude.
L'envie congénitale d'en découdre.
Succession prétendue verticale (accompagnée du désir immodéré et de la propension à ne jamais accepter ses torts).
Depuis le boredom de ce qui autrefois avait abrité plusieurs rêves d'évasion, il lui sembla à cet instant là plus qu'à un autre qu'il était nécessaire qu'elle monte dans sa Chevy et morde la putain de grise; qu'elle quitte la scène et le décor de ce qui ne pouvait être que le théâtre de ses désillusions. Plus de grains de sable jusque dans la conjonctive ; plus de small town hospitality attrape touristes ou de rumor-has-it balayés par des hairflips travaillés comme l'aurait été le numéro épuisé d'un prestidigitateur. Rooney imaginait l'ailleurs sans inflexions americana profonde.
Les pétarades caractéristiques d'une Harley Davidson Sportster, celle d'Elroy, griffèrent l'air et firent taire le duo belliqueux.  L'aîné, libéré sous conditionnelle, avait passé les dernières vingt quatre heures à rattraper le temps perdu ; peu soucieux du bonding time qu'il aurait probablement dû accorder à celle qu'il avait élevé comme sa fille (et à laquelle il avait offert la pesanteur du patronyme).
Un seul regard, l'échange qui l'avait fait patienter; trainer dans ce coin oublié de dieu le père, alors qu'on l'attendait dans la villa de pleasant valley où le quaterback qu'elle fréquentait par intermittence depuis plusieurs années fêtait en grandes pompes ses dix neuf ans; son départ pour l'université favorisé par la bourse sportive décrochée grâce au portefeuille de daddy.
Le loup s'était impunément immiscé dans la bergerie et bientôt, le monde allait s'appliquer à exposer la supercherie. Purdue fut cruelle et chaotique.
Le tiara ne survécut que deux semestres en équilibre au sommet de son crâne.
Avant que les attentes sociétales et la peer pressure ne réduisent clairement ses ambitions chevrotantes au silence.


┗ too many
anxieties
for one heart┛

Les divinités preppy ne jouaient des coudes que sur le terrain de Ross-Ade et ne révélaient le tranchant de leurs canines que face à l'idée d'accueillir en leur sein l'enfant batarde de l'U.S route twenty three. Off campus, elle se présentait toujours comme celle qui n'aurait pas été contre défier les statistiques - engoncée dans ses jupettes plissées, noyée dans le sweat de l'université, elle n'en menait pas large. Elle se rendit très vite compte qu'elle n'était adulée qu'entre les murs de blurrydale high, qu'en dehors du périmètre bien délimité de la ville qui l'avait vu passer de planche à pain à playmate , elle n'était qu'une énième brunette qui avait cédé à l'appel du peroxyde d'hydrogène et que sa cervelle atrophiée n'était malheureusement pas à la hauteur des grands du monde de l'aviation (dégueulés chaque années par l'un des programmes les plus compétitifs du pays). Du moins, elle finit par s'en convaincre et vit bientôt ses notes baisser, entamer une chute si vertigineuse qu'elle se retrouva by summer time à paqueter ses affaires.
Elle n'avait tenu qu'un an.
Plus que ne l'auraient parié ses oncles; Norma Sue devait surement avoir accueilli la nouvelle avec la satisfaction des détracteurs. Rooney n'avait aucune excuse : personne ne fut dupe lorsqu'elle revint et qu'elle voulut sauver la face, s'inventer des raisons valables (elle en avait pourtant à revendre).
Elroy à nouveau incarcéré lui avait laissé la charge du Bubba Blue (intox), oncle Ray avait besoin de quelqu'un pour s'occuper de la petite dernière (intox), elle avait juste changé d'avis sur l'avenir (intox). - It's damn tough out there; ya can't complain. Ya just have to take it and give it back (info) les trémolos dans la voix à peine dissimulés par la risette affectée.
Le fait est qu'elle s'était dégonflée et qu'elle avait mis fin à ses rêves dès que le vent n'avait pas tourné en sa faveur (première note en dessous de la moyenne acceptable). Elle ne remit la main sur son ambition que lorsque, justement, un client entreprenant du Bubba blue lui en mit une aux fesses; déclenchant l'épiphanie sur la moquette jaunie par le temps et le clivage insidieux entre Rooney et le reste Varjak (comme un besoin impérieux de se désolidariser du pire; tracer à la craie la frontière imaginaire entre le bon et la brute).


┗kind
in cruel
situations┛

Si tout se cassait la gueule, Rooney avait au moins encore le contrôle de sa manucure.
C'est dans la résine, qu'elle avait décidé d'immortaliser son goal, derrière le comptoir de son bar à ongles - vaste champ under construction - qu'elle comptait tenir les rênes (et prouver qu'elle était parfaitement capable de survivre sans que Norma sue la tire invariablement vers le bas).
Elle se trouvait dans sa Chevrolet, dans l'une des files du péage, la station radio diffusant un vieux Luke Combs au moment où le titre fut interrompu par un  flash info; un rebondissement  avait eu lieu concernant une disparition datant d'une décade et l'on soupçonnait un représentant pharmaceutique qui avait juste eu le malheur de séjourner dans le même motel que la victime. Elle se souvint du jour où des officiers de police s'étaient présentés sur la propriété; avec un mandat signé par un magistrat. Ils avaient tout retourné et embarqué Ray dans la foulée, que Rooney n'avait revu que trois jours plus tard, affublé d'un oeil au beurre noir.
Pas que ces histoires la concernaient vraiment et bien qu'elle ait ressenti une légère crainte de faire un  jour partie d'une rubrique de faits divers - elle possédait après tout , absolument tout de la victime privilégiée d'un serial killer ou d'une malédiction -, sur sa planche s'accumulaient les pains dont elle devait déterminer le sort (les perks ou les cons, la folie des grandeur immortalisée sur les gravillons du terrain Varjak).
Pas le temps de s'appesantir, pas le temps de mener l'enquête ou observer une pause compatissante lorsque les commères se réunissaient pour proposer  une minute de silence hypocrite. Trop de pain, sur la maudite planche.
Elle suait suffisamment à cause du deal passé avec l'ami d'Elroy, meneur de gang notoire, auquel en échange d'un coup de pouce pécunier pour lancer son business, elle devait déverser une rente (et accepter de blanchir le fric, supporter le flirt grossier, espérer que la foudre ou la crosse d'un fusil lui fende le crâne).  Elle n'avait même pas atteint le quart de siècle qu'elle combattait sur tous les fronts les banques, ces  vampires acharnés avides de pucelles naives, auxquelles elle devait trop d'argent - et tous les monstres sous le lit qui avaient, avec le temps, revêtu les visages familiers de ceux sur les genoux desquels elle s'était un jour assise, un large sourire enfantin aux lèvres.



┗ Hellenic
goddess
of the hunt┛

La pluie battante s'était infiltrée profondément; Rooney ,qu'une trainée de sang défigurait, tremblait comme une feuille soumise au vent. Pas sûr que seule la météo ait été à l'origine de cette agitation. Les vagues venaient se fracasser contre les docks, les gouttes frapper le moindre obstacle.
Le national weather service avait donné l'alerte, quarante huit heures plus tôt, orages et pluie torrentielle au rendez-vous semblaient depuis les vingt dernières minutes redoubler d'effort.
Pas le temps de tergiverser sur la terrible fuckery qui venait d'avoir lieu et au cours de laquelle elle avait assené un coup de batte de baseball sur la tête du malfrat qui avait essayé de lui faire écarter les cuisses, dans un coin désert, sous couvert de transaction matérielle indispensable.
Le siège de sa voiture, détrempé, couinait sous ses mouvements; les lamentations de Taylor Swift atténués par les battements irréguliers de son cœur réverbérés sur ses tympans, n'avaient plus l'impact qu'elle leur prêtait à l'accoutumée. Elle ne pouvait décemment pas exemplifier le déclin; elle n'était qu'à un fil de finir en centre correctionnel, fille de Norma Sue et de Elroy, effondrée aux pieds d'un cliché qu'elle avait combattu avec tant d'ardeur qu'elle en gardait des cicatrices.
Donner raison à tous ceux qui scandaient avec facilité que la pomme ne tombait jamais loin de l'arbre ? Elle avait travaillé sa réinsertion, empêché son impulsivité de faire déborder le vase, s'était évertuée à rendre à la communauté, piégée par son appartenance, légèrement culpabilisée par l'église à laquelle elle ne répondait jamais qu'au conditionnel forte de sa jeunesse et de son insolence: tout ça pour ça ?? Elle porta un coup rageur au volant, alors que sa progression la menait inconsciemment aux portes du poste de police. Elle y pénétra, se présenta face au personnel d'accueil : en mode automatique. Ne reprit contenance et grasp of reality que lorsque la voix de l'agent retentit dans un "que puis-je faire pour vous ?". - 'Wanted  to report a robbery and a potential murder - songea-t-elle - but seems like it's a false alarm. I'm sorry for the trouble. Have a nice evening, sir.
Pas le temps non plus d'être rongée par le remords.
C'était un luxe qu'un Varjak ne pouvait pas s'offrir.