pissenlit Enfance choyée, parents aimants et relations complices avec sa soeur, la jeunesse d'orion n'a été entâchée d'aucun drame et il y évoluait paisiblement, bercé par les histoires de son grand-père. Il lui parlait de l'Europe, de la France, ses paysages, ses coutumes, ses excentricités. Et puis, il y avait les histoires des courses de chevaux. celles qu'il écoutait avec le plus d'attention, celles qu'il réclamait même. En son temps, et avant d'émigrer, son grand père avait travaillé à l'entretien des pistes de l'hippodrome de Vincennes et s'émerveillait à chaque fois qu'il voyait les chevaux en fouler le sol. Alors toutes ces années après, il s'appliquait à partager un peu de cette admiration avec ce petit garçon aux yeux brillants. Quand Orion avança l'idée, manifeste rêve d'enfant, de devenir jockey, son aïeul l'y encouragea avec tendresse, les deux s'imaginant déjà le petit garçon triompher sur les pistes cendrées. anémone Dès lors, il s'appliqua à accomplir ce qu'il considérait comme sa destinée, sa place dans l'univers; lectures acharnées, quelques voyages pour assister à des courses dans d'autres états, observation de tous les enregistrements qui pouvaient lui passer sous la main, cours réguliers dans un ranch local. Il développe peu à peu une routine régulière mais acharnée, sorte d'adolescence en vase clos choisie et assumée persuadé qu'il s'agit là de quelque chose qui sans l'ombre d'un doute, le porterai aux sommets. Son cursus scolaire obligatoire à peine achevé, il quitte son Massachussets natal pour la France, officiellement installé chez son oncle, mais très rapidement il rejoint une école spécialisée dans les métiers des courses hippiques en internat. Il s'intéresse peu à la vie en communauté, pas désagréable, pas tout à fait chaleureux non plus, sorte de bienveillance discrète et de pensées vagabondes lors des rares moments de repos. Il s'oriente rapidement vers les courses de trot attelé, son rêve de toujours dans l'espoir de devenir driver selon le jargon exact, même si en dehors des milieux spécialisés, il s'en tient le plus souvent à jockey, par simplicité. Il fait rapidement très forte impression chez les éleveurs qui croisent sa route, étoile montante des courses d'entraînement, il est promis à une carrière brillante dès sa sortie d'école ancolie C'est pourtant pendant cette dernière année aux allures de formalité et aux portes de l'accomplissement de son rêve que la situation lui échappe. Un peu trop grand au vu des moyennes, il surveille avec la plus grande attention ce ratio de taille-poids, véritable nerf de la guerre de la profession. Pourtant après des années de sport intensif, de régime strict et de précaution portée à sa forme physique : l'impensable. Fauché en plein vol par une poussée de croissance tardive, débordement insupportable d'un corps sur lequel il perd le contrôle. Orion consacre tous ses efforts à la lutte contre ce coup du sort. S'applique à le canaliser, l'étouffer, le juguler et enfin, il l'espère, l'anéantir, Commencent alors la restriction, la privation, la faim, la douleur à s'en tordre l'estomac. Tentative d'endiguement desespérée et infructueuse d'où naîssent la haine de soi, la colère, le désespoir, la privation à nouveau, la haine toujours. Cycle sans fin d'efforts et de douleurs accablantes, nouveaux automatismes pervers inscrits jusqu'au plus profond de son âme et au bout du tunnel pourtant, l'inévitable. Lui qui se trouvait déjà sur la brèche s'y effondre. L'enthousiasme autour du jeune prodige décroît, sa faiblesse récente questionne, sa conduite inquiète, sa singularité jadis pardonnée dépasse toute forme de compromis, ses chances se raréfient, jusqu'à n'en laisser qu'une seule. Une écurie disposée à lui accorder le bénéfice du doute. Pas la meilleure. Pas la meilleure des réputations non plus.  Alors ignorant toute mise en garde et bruits de couloir il s'y précipite, avide, vengeur et déterminé. amaryllis L'histoire lui donnera raison. Pendant plusieurs mois, Orion domine le monde des courses de trot de sa haute stature. Silhouette longiligne se détachant de la foule. Il finit par triompher à Vincennes, occasion d'un rare échange avec sa famille, il renoue un peu, s'ouvre même un peu plus aux autres. La victoire est totale. Il vit son rêve du haut de son trône bâti à grand coup d'autodestruction, s'en félicite même sans mesurer l'ombre qui plane toujours au dessus de lui, les reliques de ces comportements qui demeurent, endormis dans ce genre d'instant suspendu d'exaltation. Ses démons s'apaisent, un temps eclipsés par une confiance infinie, rayonnante. Homme de peu de mots, il ravit pourtant les journalistes de la presse spécialisée à chaque sortie, charmés par l'histoire deu vilain petit canard devenu cygne et cette genre de candeur ardente qui le caractérise. ciguë De gloire savourée et âme d'enfant retrouvé, il se laisse un peu porter, aveugler, aussi. Il accepte de déléguer certaines choses, d'en surveiller moins et pêche finalement par excès de confiance. Il laisse son cheval aux bons soins d'un lad fraichement arrivé et au terme d'une enième course remportée, le couperet tombe. Contrôle antidopage positif. Secret de polichinelle enfin révélé.  Aboutissements de rumeurs jusqu'alors jamais vérifiées. Qui ne l'avaient jamais arrêté. Qu'il s'était même appliqué à contredire, une victoire à la fois. Rapidement, Orion se retrouve emporté au coeur d'un scandale sans précédent, d'une bataille juridique le désignant responsable. Son histoire singulière, son tempérament secret et ses ambitions le désignent rapidement comme un coupable idéal, ce que les autres parties incriminées ne manquent d'ailleurs pas d'appuyer. Suspendu des courses jusqu'à nouvel ordre et frappé par la disgrâce ce n'est qu'au terme de plusieurs mois murés dans le silence qu'il est finalement lavé de tout soupçon.Il rachète son image auprès de la presse, très impliquée dans l'affaire et se tient prêt à faire amende honorable; à revenir grandi. Il ne réintégrera jamais les courses. Et si certaines écuries avaient commencé à revoir leur décision sur lui avant cette affaire, la relaxe ne lui suffira jamais à revenir en odeur de sainteté sur les pistes. Orion a 21 ans, et sa carrière est finie. absinthe Passé le choc vint le vide. L'absence. La noirceur à s'y perdre. Orion sombre, à bout de souffle, abattu et sans but, il n'est sauvé que par ce sentiment qui, doucement se révèle, le traverse, le transperce même. L'amertume. Puis le dégoût. La mise en balance des sacrifices consentis pour un monde prêt à vous abandonner, à vous réduire au rôle de simple déchêt charrié par la marée au petit matin. Peu à peu le voile se lève, révèle l'étendue des dégâts, de ce qu'il s'est infligé pendant tout ce temps, persuadé que ça suffirait. Persuadé qu'enfin il suffirait. L'amertume, la rancoeur, la désillusion. Autant de sentiments négatifs qui l'ont pourtant sauvé. Avoir enfin une raison de détester ce monde fantasmé et d'accepter que ce rêve de gosse s'était heurté à la réalité l'a libéré.  Alors, consciemment, est venu le temps des adieux. Il a placé quelques paris sportifs, flirtant dangereusement avec le délit d'initié. Rien de bien extravagant, juste de quoi s'assurer une vie confortable pour un temps. Et, silencieusement, il a tiré sa révérence. perce-neige Quelques temps après ses pas l'amènent aux portes d'une écurie, si son avenir est incertain, demeure l'amour des chevaux qui l'avait toujours porté, qu'il avait pourtant perdu un temps alors, ses pieds sur le seuil, c'est comme le début de sa rédemption, le premier pas pour, peut-être, retrouver son chemin. Il s'y intègre vite, embauché comme garçon d'écurie et logé dans un modeste cabanon bordant la carrière de sable fin. Il découvre une nouvelle approche, plus douce, plus complice. Quelque chose qui transcende l'harmonie qu'il avait un jour connu, qui transcende même celle dont il aurait pu rêver. Il réapprend à vivre au contact des gens lui qui n'y avait jamais donné la priorité, se fait quelques amis, parfois plus, jamais trop. Ni véritable coup d'un soir à la gratification limitée ni véritable relation suivie, toujours perdu dans cet ailleurs qui l'appelle et qu'il ne parvient pas à trouver. Il apprend beaucoup, découvre l'équithérapie puis, plus tard, pousse enfin la porte d'un thérapeute, il progresse, avance, se reconstruit, l'espoir renaît, beau temps suivant la pluie, et pourtant quelque chose manque. Ce but, cette mission presque sacrée qui devrait le porter. Lui qui ne s'était imaginé qu'à un seul endroit sur terre doit désormais trouver cette nouvelle place pour lui, quelque part dans l'immensité du monde. Il sait qu'elle n'est pas tout à fait ici, pas à Blurrydale non plus. calathea C'est finalement sa rencontre avec Doubane qui lui apportera sa réponse, jeune trotteur réformé des courses faute de résultats suffisants, Orion voit immédiatement en lui l'incarnation du système qui les a tous deux laissé tomber. Les carcans imposés et malgré tout insuffisants. La froideur et l'ingratitude. Alors l'idée germe et fait son chemin, jusqu'à ce qu'enfin, il ose l'énoncer clairement, ils allaient partir tous les deux, embrasser toutes les vies qu'ils auraient pu vivre, découvrir tout ce qui leur avait été interdit et, peut-être trouver leur place. Rapidement, la rumeur de ce projet, de ces préparatifs se propage, les journaux locaux s'emparent de l'événement, suivis par la presse spécialisée et la presse nationale. C'est là qu'il réalise qu'il a quelque chose de grand entre les mains. Qu'il a une tribune mais aussi, une occasion de raconter son histoire, leur histoire. Mais les mots ne sont pas son fort, ne l'ont jamais été d'ailleurs, alors Cassiopée le sauve, trouve la solution. Alix. Vague connaissance de sa soeur. Plume soignée. Dépositaire de cette histoire à raconter. Ange tombé du ciel. citronnier Les correspondances sont d'abord assez courtes, si la cordialité ne manque pas, elles se limitent au strict nécessaire, jusqu'à la timide requête d'Alix. Philatéliste tenant là la plus belle des occasions, elle demande à Orion de récupérer un timbre à chacune de ses étapes, ça la gêne un peu d'abord et lui ne comprends pas trop l'attrait, pourtant il s'éxécute. Et puis peu à peu, il se prend au jeu et la tient informée, aux photos nécessaires aux réseaux sociaux s'ajoutent celles de lui, arborant fièrement les timbres locaux ou les photographiant posés sur le nez de Doubane ou devant les plus beaux paysages. Il lui en cache même certains, amusé par l'idée de lui faire une surprise le jour où elle les verra enfin, dans une eternité probablement. Et puis après quelques semaines, il prétexte un manque d'espace dans ses sacs, la peur de les froisser, quelque chose comme ça, et demande à quelle adresse il pourrait les lui envoyer. Blurrydale nom qui le trouble, comme pris d'un frisson. Il les accompagne d'une lettre, quelques mots griffonnés, rien de très élaboré, mais profondément sincères, aveu timide d'un rituel qui l'amuse plus qu'il ne l'imaginait. Peu après leur réception, elle lui écrira que la réponse à sa lettre l'attendra dans une boite postale à quelques centaines de kilomètres de là, et s'il n'avait jamais envisagé une telle réciprocité, il se prend bien vite au jeu. C'est le début d'une longue séries de lettres échangées, de mots couchés sur le papier et récupérés miraculeusement. Malgré les déplacements permanents d'Orion, ils parviennent à synchroniser son passage et l'arrivée de lettres dans une quelconque boîte postale devenant étape déterminante. Le voyage se poursuit au fil de ces rendez-vous, beau, merveilleux même, marqués par la complicité avec Doubane et délicatement retranscrit à des milliers de curieux, tombés amoureux de cette folle aventure et de la plume d'Alix. Orion profite du calme, du silence, de la plénitude après les hippodromes bruyants et la douce agitation de l'écurie qui l'accueillait. Il se nourrit de toutes les expériences, porté par la gratitude, la chance qu'il a d'entreprendre un tel voyage. Alors qu'il sillone chaque continent, Il réfléchit à sa vie, au sens qu'il souhaiterait lui donner, à ce qu'il souhaiterait faire une fois le voyage achevé et puis, il pense à ces lettres. lilas Alors que celles-ci se multiplient, rien ne transparait dans le reste de leurs échanges, disjoints de cette correspondance menée contre vents et marées, sorte de double vie scellée dans un accord tacite et sacré. Peu à peu elles sont devenues un refuge, un cocon. Sorte d'espace fermé et défini qui n'appartient qu'à eux, s'opposant à la co-écriture de cette histoire projetée à la face du monde. Il sent que quelque chose se passe au creux de ces lettres, quelque chose qui le dépasse, le perds et en même temps répond progressivement à ses questionnements, se fait réceptacle de ses doutes, écho des tourments de son coeur éperdu. A chaque échange ils semblent chacun se livrer un peu plus, sortir du cadre, se donner vie, délivrés de l'immédiateté, languis dans l'attente. Au coeur de ce long voyage solitaire se déploie une véritable chasse au trésor le menant au bout du monde et pourtant, invariablement aux mots d'Alix. muguet Auprès d'Alix.