identité. Penelope, un prénom que seule sa mère utilise encore. elle ne se souvient même plus de la dernière fois que Marius a prononcé l'entièreté des consonnes qui font son identité. ça lui convient très bien à Penny qui n'a jamais cherché à rectifier le tir. pas elle qui a décidé de ce raccourci, gamine se laissant emporter par la foule, par les habitudes des camarades trop fainéants pour que toutes les lettres soient respectées. ça lui donne un air cool qu'elle a souvent répété à sa fille, ça lui donne l'impression d'être plus jeune qu'elle ne l'est. et puis Penelope c'est trop vieux, trop lourd, trop sexy. elle n'a jamais eu la sensation d'en être une, loin de la pulpeuse latina ou de la pin up des années cinquante. Penny, c'est son identité. c'est la brune sympathique qui ne ferait pas de mal à une mouche, c'est la douce mère d'une famille ayant volé en éclats. son nom elle ne l'a pas changé malgré le divorce, est restée une Stonem. raison jolie, celle de garder le même que sa fille, que son soleil. vérité moins glamour, la paresse de devoir tout changer, de se taper l'administratif, de rayer son identité des vingt dernières années. sans compter qu'ils sont aussi à son nom d'épouse, ses livres. reprendre Shipman, ce serait relancer complètement sa fanbase, perturber ses fidèles lecteurs et possiblement retomber dans l'anonymat. âge, date et lieu de naissance. fin de l'été 1981, quand l'air était encore chaud et la mer encore agréable. petite fille d'ici, enfant du Cape Cod. c'est dans une clinique de l'autre côté de la baie qu'elle a vu le jour, mais c'est Blurrydale sa maison. endroit qui lui convient parfaitement, mélange de rencontres et de mystères, tout un tas de nouveaux visages et de vieux souvenirs. quarante trois années qu'elle voudrait fêter sur les bords d'une plage de rêve, elle qui n'a jamais voyagé plus loin que la Floride. un luxe qu'elle n'ose pas se payer, préférant mettre de l'argent dans les études de sa fille, dans son futur, même quand c'est son ex mari qui reçoit les remerciements. origines et nationalité. Nouvelle Zélande, pays de sa grand mère arrivée aux Etats-Unis un peu par hasard. il plaisante parfois, son père, sur le fait que c'est pareil. que de toute façon le monde entier est anglais, que l'Europe s'est approprié toutes les terres possibles. l'américaine qui vote, qui s'impliqué, qui n'a jamais regardé très loin d'où viennent ses ancêtres. quel serait l'intérêt de se renseigner sur qui ils sont, celles et ceux qui ont fuit l'Angleterre, l'Ecosse ou encore le Pays de Galles ? la réponse pourrait bien être vexante, voire complètement embarrassante. c'est sa mère qui lui a appris à ne jamais remuer dans le passé, un comble quand on sait le métier de son père et son obsession face à la résolution des disparitions du 10 janvier. si son propre passé ne l'intéresse pas, celui de sa ville est primordial. statut civil et orientation sexuelle. elle a mis du temps à disparaitre la trace de l'alliance à son doigt. fin d'un mariage qu'elle a causé, qu'elle a même choisi. et pourquoi ? pour pleurer le soir seule dans son canapé, un verre de mauvais vin à la main ? deux ans qu'elle et Marius ont divorcé, deux ans qu'elle fait la femme forte, l'indépendante prête à vivre pour elle même. des aventures par-ci par-là, des jeunes hommes décevants et des quarantenaires comme elle cherchant à se prouver qu'ils ont fait le bon choix en quittant leurs conjointes. c'était plus sexy dans les films et les bouquins, la crise de la quarantaine. c'était mieux quand elle pouvait s'imaginer tomber amoureuse d'un grand et beau bucheron ou d'un milliardaire en manque d'amour. au lieu de ça elle est obligée de voir ses collègues se plaindre de leurs maris, sans pouvoir participer à la compétition. il n'était pas si mal que ça, Marius, qu'elle se dit parfois. au moins il l'aimait, au moins il lui demandait comment elle allait à la fin de la journée. c'était peut-être ça, le problème. un jour il est devenu son psy, et ce jour là leur mariage était foutu. combien de choix stupides a-t-elle fait pour plaire aux hommes ? combien de robes trop serrées et de maquillage trop voyant ? l'impression de ne plus avoir les codes, de ne plus savoir ce qu'ils attendent ceux de cette nouvelle génération. à une époque où l'on rencontre l'amour en ligne, à l'époque on refuse de se contenter du moins, Penny fait tout pour garder la tête hors de l'eau. parfois ça dérape. parfois elle choisi le mauvais type pour passer la nuit. le mari de sa sœur est assurément le pire choix qu'elle puisse avoir fait jusque là. emploi et activité, situation financière. l'insigne qui brille et la carrure qui impressionne. petite fille fascinée par son père le héros, son père le policier. un bon, qu'on a eu de cesse de lui répéter, qu'on lui dit encore quand on reconnait la gamine devenu femme. elle aurait voulu suivre sa trace, se lancer dans une carrière dans les forces de l'ordre. pour rendre justice, pour sauver des vies, pour aider son prochain. pas un métier pour les filles qu'elle lui a dit, sa mère. trop physique, trop éloigné de ce qu'elle peut être l'enfant fragile. il vaudrait mieux qu'elle soit derrière un bureau Penny, alors elle est restée derrière un bureau. même son père n'est pas parvenu à aller contre les désirs de son épouse, contre ses idées arrêtées de ce que doit être la place d'une femme. un diplôme pour devenir secrétaire, l'espoir vain de sa mère de la voir gravir les échelons. elle passe ses journées les lunettes sur le nez, à faire le tour de chiffres, à vérifier que tout est en ordre. gestion administrative complètement rasoir, ennui qu'elle comble quand, entre deux dossiers, elle ouvre son logiciel de traitement de textes. on lui demande parfois quand est-ce qu'elle trouve le temps d'écrire Penny, et son sourire se fait malicieux et secret. c'est dans son bureau au dernier étage du commissariat, lieu où son père lui a obtenu son premier boulot, qu'elle a rédigé ses romans les plus populaires. parce que chez elle il y a toujours eu quelqu'un pour la déconcentrer, une nouvelle tâche à faire pour lui voler du temps. ses romans policiers c'est directement au cœur de l'action qu'elle les a rédigé, en faisant une autrice appréciée localement. elle n'a pas quitté son emploi malgré les cachets de ses romans. ce serait prendre un trop gros risque que de se croire capable de vivre de son art. et puis elle est bien ici, dans son bureau. elle sait tout ce qu'il se passe en ville, a un œil sur toutes les enquêtes qui l'intéressent. un perchoir parfait pour l'enquêtrice en herbe, une inspiration pour l'artiste des mots. situation familiale. l'ainée que l'on attendait comme modèle. sérieuse, studieuse, mariée jeune, une magnifique fille. une famille qu'elle a su se créer toute seule Penny, remplissant parfaitement les critères de sa mère à un point près : pas de deuxième enfant, encore moins de troisième. une fille unique qu'on lui a reproché, un enfant qu'elle a tenté de faire -en vain. de nombreuses remarques, des disputes, et puis un mariage qui vole en éclat. combien de fois a-t-on dit à sa sœur de faire attention, sinon elle deviendrait comme Penny ? la petite sœur charmante, la petite sœur qui ne fait pas d'erreur elle. petite sœur qu'elle n'aime pas la grande, qu'elle ne sait supporter que pour faire joli, pour ne pas vexer son père. et cette bêtise, stupide, que de coucher avec le mari de celle-ci. un si beau garçon, une vie si parfaite qu'elle est parvenue à ruiner en quelques coups de reins, et la satisfaction de ne pas être la seule des enfants Shipman avec une existence foireuse. à blurrydale depuis. toujours, fille d'un flic apprécié, d'une mère à la réputation difficile également. ville qu'elle n'a eu aucune raison de quitter, remplissant parfaitement ses besoins. des amies, de la famille, des gens avec qui bosser et un mari merveilleux. pourtant elle a bien failli partir, un jour. les billets d'avions acheté, l'appartement loué, les meubles prêt à être emballés. un déménagement, la Californie, une nouvelle vie promise à sa fille adorée. elle a refusé Ellie, bien évidemment. n'a pas voulu quitter ni son père ni son univers, adolescente trop attachée. alors Penny n'a pas insisté, Penny a annulé le bail et elle est restée à Blurrydale, loin de sa grande aventure, loin de ses romans d'amour. quartier. Blurrywoods, maison familiale aux souvenirs déroutants. un endroit que les rires ont hanté, qui n'est désormais plus qu'un lieu de passage. dortoir où sa fille mange et nettoie son linge avant de retourner chez les copains ou chez son père. et pourtant Penny continue d'espérer, de se donner à fond pour que l'intérieur soit parfait. une vie complète de femme modèle à qui Marius n'avait pourtant rien demandé. éducation sexiste de sa mère faisant d'elle une épouse et une mère avant d'être une femme.

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traits de caractère. l'indécise toujours, incapable de savoir ce qu'elle veut. si elle s'est laissé emporter tout au long de sa vie ce n'est pas pour rien. Penny qui ne sait pas quoi faire, Penny qui ne choisi pas, Penny qui doute. c'est plus facile de dire oui à ce qu'on lui propose. oui à un rendez-vous galant, oui à un mariage, oui à un enfant, oui à un poste. pas le temps de réfléchir, toujours des machines à faire et un poulet à cuir, toujours un dossier à finir en urgence et un service à rendre. jusqu'à ce qu'elle ne craque. des idées à la con que sa mère lui a répété, un besoin de souffler qui n'en était pas vraiment un. simplement la peur d'avoir raté sa vie, d'avoir pris les mauvais chemins. trop de livres sur l'indépendance, trop d'héroïnes à la Bridget Jones qui réussissent ce qu'elle n'a pas su commencer. elle y a cru, elle a pris son envol, s'est persuadé que c'était la bonne solution. maladroite, peut-être bête même, la femme qui n'a pas compris que la fiction devait en rester une. celle qui s'est effacé si longtemps a voulu briller, à voulu une indépendance qui ne lui sert plus à rien. des regrets qu'elle met dans ses livres, qu'elle comble comme elle peut. si elle devait refaire un choix, ce serait celui de ne pas choisir. reprendre son ancien rythme, là où personne ne lui demandait rien d'autre que d'être présente, de sourire et d'aimer.

que pensez-vous des disparitions annuelles, quel impact ont-elles sur votre vie ? fascination de son père, obsession même pour le policier qui a lutté trop longtemps contre l'inintérêt de certains de ses collègues. intrigues que la gamine a suivi, enquêtrice en herbe, pas assez bonne pour être elle même l'inspectrice qui viendrait résoudre le mystère. sa propre disparition ne l'a jamais perturbé, trop quelconque pour que l'on s'intéresse à sa personne. ça a changé quand elle a eu une fille Penny, l'inquiétude s'est faite plus forte, les questions plus présentes. toujours la première à lire les rapports de la police, toujours à poser des questions à la machine à café du commissariat. les disparitions comme source d'inspiration pour ses meilleurs romans, des enquêtes où les jeunes femmes sont toujours retrouvées. elle a même écrit au sujet du dix janvier, essai qui n'a pas plu à la mairie. et puis ça s'est calmé, la passion s'est essoufflée, la vie a pris trop de place. jusqu'à ce jour de 2024 où le prénom change, où il remet tout en question. Love, sa nièce, cette adorable jeune femme. Love que l'on ne retrouve plus, Love que l'on a perdu. pour combien de temps ? elle a vu la souffrance de son ex mari, celle de sa fille. elle même s'est énervée devant l'injustice. alors les enquêtes reprennent, mur de sa chambre transformé en tableau de bord, fils rouges qui font peur à sa fille, qui la hantent. il lui faut trouver la solution, et vite. peut-être qu'ainsi on lui pardonnera le reste de ses méfaits.

un des quatre éléments. la terre, malléable à souhait, solide source d'une vie qui se fait sans elle. un des cinq sens. le toucher, ce toucher qui lui manque tant, qui la fait se sentir plus femme. un des sept péchés capitaux. la paresse, des années d'efforts qu'elle n'a pas fait et qu'elle regrette, cette façon qu'elle a eu de tout accepter sans réfléchir, de laisser les autres choisir pour elle. un moyen de ne pas se confronter à la réalité du monde surement. une émotion. la fragilité, celle d'une femme qui s'est laissé berner, qui n'a pas osé se défendre. petit oiseau que l'on ne voit qu'ainsi, douceur prise pour une faiblesse, qui en est peut-être bien une tout compte fait. une odeur. l'odeur de fraises, odeur d'un shampoing si longtemps fait à Ellie. souvenir d'un temps où sa famille allait bien, où sa fille l'aimait encore. parfois au supermarché elle attrape une bouteille, l'ouvre et s'enivre du parfum dans l'allée sous les regards étonnés des passants. une chanson. all by myself, céline dion. une mauvaise habitude. elle est nouvelle l'habitude, pas vraiment assumée. space cakes régulièrement cuisinés, moyen de se sentir plus jeune, plus drôle. douceur qu'elle s'est refusée si longtemps, elle qui faisait tant attention à son poids. désormais elle est libre, et défoncée.  un objet du quotidien. un livre, roman à l'eau de rose sur la renaissance d'une femme soumise devenant l'héroïne de sa propre vie. une lecture que l'on peut qualifier de stupide, un truc de bonnes femmes même. mais il a changé sa vie, le livre. lui a inspiré tout un tas de conneries qui l'ont poussé à foutre sa vie en l'air. rappel terrible de ne pas faire confiance au papier. une légende de blurrydale.dame blanche qui lui fait peur, qui l'intrigue également. elle a tendance à ralentir dès que sa route la mène sur le lieu soit disant hanté, cherchant du regard cette pauvre femme qu'elle aurait bien voulu aider. Penny s'est souvent dit qu'elle aussi, elle viendrait hanter les gens qui l'emmerdent. un lieu de blurrydale. le lycée de Blurrydale, endroit où elle a rencontré Marius. ils étaient jeunes à l'époque, ils étaient beaux. jamais elle n'a eu autant confiance en elle que lorsqu'il l'a regardé pour la première fois. un regard qui a tout bouleversé, qui a été le début d'une nouvelle vie.